D'une main, l'autre
-Interview de Zhao Duan
Christophe Hazemann
Zhao Duan est née en 1981 en Chine, à Shenyang, capitale de la province du Liaoning dont la population dépasse les sept millions d'habitants. Elle arrive en France en 2005 pour poursuivre ses études artistiques, successivement au Havre, à Toulouse puis à Paris où elle s’installe en 2011.
Ce dépaysement est un choc culturel. Duan doit apprendre une nouvelle langue, comprendre et s’adapter à une autre culture. Ce métissage se retrouve dans sa démarche artistique qui se penche sur la notion de déplacement (voyage, transfert, durée), la connaissance de soi et l’interaction (la confrontation) avec l’autre. Elle mixe ainsi la sculpture, la peinture, le dessin, la performance pour exprimer son art.
Dans ton travail, il y a la confusion inhérente à la performance entre les actions artistiques qui font œuvres mais qui sont, de fait, éphémères et ce qui est présenté dans les expositions et qui peut s’apparenter à une simple trace résiduelle.
Il n’y a pas de contradiction entre la trace qui est présentée et l’action qui l’a précédée. Nous pouvons faire le parallèle avec la peinture qui n’est finalement que le témoignage de la durée de la confrontation du peintre et de sa toile. Comme pour Jackson Pollock qui mettra en scène l’action painting, une performance de peinture. C’est le regard du spectateur qui doit transformer la trace en œuvre. Je l’imagine comme un policier découvrant une scène de crime. J’aimerais que lorsqu’il découvre mon travail, il s’interroge sur ce qu’il s’est passé et essaie d’imaginer et de ressentir l’action qui a mené à ce qu’il voit.
Tes performances répondent à des protocoles qui invoquent une notion de durée et de transversalité. Où puises-tu les inspirations qui dictent tes protocoles.
Mes protocoles sont issus de mon histoire et de mon expérience. Je suis originaire de Chine et lorsque je suis arrivée en France il y a 8 ans, j’ai fait l’expérience du déracinement et des difficultés d’intégration. Je ne connaissais personne, je ne maitrisais pas la langue et me sentais isolée. Une de mes premières performances tournait autour de mon intimité et intégrait une notion d’enfermement durant 60 jours. De Esquirol à Eisenhower est symptomatique de cette période. Chaque jour, pendant 31 jours (le nombre de pages de mon carnet) en prenant le bus seule pour aller au travail, j’ai posé la mine sur une page blanche et je me laisse absorber par le défilement du paysage, je laisse mon esprit orienter le mouvement de ma main et traduire ce que je vois, ce qui m’intéresse. Puis petit à petit, j’ai commencé à faire des connaissances, et les intégrer dans mon travail. J’ai observé la culture française et remarqué les différences culturelles. C’est notamment pour cela que j’ai choisi de travailler sur les rapports trans-générationnels.
Ma performance Main dans la main n’est pas une critique de la société française concernant la manière dont les français gèrent les séniors, d’ailleurs, la société chinoise tend à se rapprocher de plus en plus du modèle occidental. Je témoigne plutôt de ce que j’ai vécu avec ma grand-mère. Pour moi, le tactile avec les personnes âgées est culturel ; je vivais avec mes parents et mes grands-parents en Chine et très naturellement je lavais parfois ma grand-mère. En France, dans les maisons de retraites, le contact physique est délégué à des professionnels. A partir de ce constat, j’ai imaginé un dispositif qui consiste en une série de rendez-vous avec des personnes âgées dépendantes, durant lesquels je tiens la main de la personne pour créer une intimité. Pendant que nous discutons, je peins le visage de cette personne dans la paume de sa main. Lorsque le portrait est terminé, je recouvre la paume avec un mouchoir en papier pour en faire une empreinte avant d’effacer la peinture de sa main. Les visiteurs de l’exposition où ce travail a été présenté étaient très émus et touchés à la vision de ces portraits fragiles portant la trace et l’histoire des personnes âgées. Cela renvoie à leurs propres souvenirs et à leur histoire familiale, cela permet également une base de réflexion sur le lien avec les aînés.
As-tu constaté une évolution dans tes protocoles ?
C’est ma vie qui détermine mes protocoles et non l’inverse : ils suivent mon expérience de vie et évoluent avec mon âge. Dans Voyage des jeunes mariés, j’ai réalisé une performance avec mon mari lors du trajet en avion qui nous amenait en Chine pour fêter notre mariage. Je n’ai pas pris l’avion pour faire cette performance mais c’est parce que je prenais l’avion que j’ai imaginé ce protocole de tenir ensemble un stylo, la pointe posée sur une feuille durant les 10 heures de vol, enregistrant les soubresauts de l’avion comme un sismographe. Aujourd’hui, je me sens parfaitement intégrée à la société française, je suis même capable d’envisager d’intégrer des inconnus dans mon processus.
L’apport de l’autre et a fortiori d’un inconnu dans ton travail implique la notion de hasard. Comment gères-tu cette part de hasard ?
Le travail collaboratif est un avantage mais également une source de contraintes. L’autre perturbe ma vision, mon action et mon désir. Une aiguille entre nous est une métaphore de la difficulté de communiquer et du rapport à l’autre. J’ai invité un ami peintre qui était mon professeur en chine et que je ne vois donc plus beaucoup dorénavant, à participer à cette performance. Chacun d’un côté de deux grands canevas montés dos à dos, sans nous voir, nous dessinons avec un fil et une aiguille notre idée du bonheur. Nous avons tous les deux une idée différente et lorsque je plante l’aiguille pour dessiner ma vision (un vol d’oiseaux migrateurs à mon image de migrante) lui me renvoie l’aiguille en fonction de sa vision (un paysage). A partir de l’expérience de notre relation, mise en scène artistiquement par cette performance, il est possible d’en déduire un propos universel qui évoque des difficultés de communiquer en général.
Je laisse toujours une place assez libre à l’autre même si cette liberté est « illusoire » puisque je l’ai prévu dans mon protocole. J’invite quelqu’un qui correspond à mon projet et à ce que j’ai envie de dire à travers cela. Le protocole est la base de tout mais l’intervention de l’autre va influer sur le résultat. Je me vois comme un architecte qui décide des fondations et de la localisation puis je fais appels à des collaborateurs ouvriers qui vont distordre le plan de construction et bâtir avec moi.
J’intègre le hasard pour ne pas qu’il arrive par hasard. C’est la beauté de la performance. C’est aussi pour cela que je m’intéresse fortement à la démarche de Francis Alys ; avec des actions simples, ironiques et significatives, il étudie l'influence de l'art sur la vie dans la ville. Je suis comme lui, j’imagine une notion d’atelier d’artiste sans mur et de plus en plus inscrit dans la vie.
La main, la feuille, le mouchoir en papier, le canevas, tes supports sont multiples
Oui car je m’intéresse à la peinture et je cherche des moyens de diversifier ses codes, notamment en trouvant des supports différents. J’étudie d’autres formats et de nouvelles possibilités, la mixité m’intéresse à tous les niveaux.
-Interview de Zhao Duan
Christophe Hazemann
Zhao Duan est née en 1981 en Chine, à Shenyang, capitale de la province du Liaoning dont la population dépasse les sept millions d'habitants. Elle arrive en France en 2005 pour poursuivre ses études artistiques, successivement au Havre, à Toulouse puis à Paris où elle s’installe en 2011.
Ce dépaysement est un choc culturel. Duan doit apprendre une nouvelle langue, comprendre et s’adapter à une autre culture. Ce métissage se retrouve dans sa démarche artistique qui se penche sur la notion de déplacement (voyage, transfert, durée), la connaissance de soi et l’interaction (la confrontation) avec l’autre. Elle mixe ainsi la sculpture, la peinture, le dessin, la performance pour exprimer son art.
Dans ton travail, il y a la confusion inhérente à la performance entre les actions artistiques qui font œuvres mais qui sont, de fait, éphémères et ce qui est présenté dans les expositions et qui peut s’apparenter à une simple trace résiduelle.
Il n’y a pas de contradiction entre la trace qui est présentée et l’action qui l’a précédée. Nous pouvons faire le parallèle avec la peinture qui n’est finalement que le témoignage de la durée de la confrontation du peintre et de sa toile. Comme pour Jackson Pollock qui mettra en scène l’action painting, une performance de peinture. C’est le regard du spectateur qui doit transformer la trace en œuvre. Je l’imagine comme un policier découvrant une scène de crime. J’aimerais que lorsqu’il découvre mon travail, il s’interroge sur ce qu’il s’est passé et essaie d’imaginer et de ressentir l’action qui a mené à ce qu’il voit.
Tes performances répondent à des protocoles qui invoquent une notion de durée et de transversalité. Où puises-tu les inspirations qui dictent tes protocoles.
Mes protocoles sont issus de mon histoire et de mon expérience. Je suis originaire de Chine et lorsque je suis arrivée en France il y a 8 ans, j’ai fait l’expérience du déracinement et des difficultés d’intégration. Je ne connaissais personne, je ne maitrisais pas la langue et me sentais isolée. Une de mes premières performances tournait autour de mon intimité et intégrait une notion d’enfermement durant 60 jours. De Esquirol à Eisenhower est symptomatique de cette période. Chaque jour, pendant 31 jours (le nombre de pages de mon carnet) en prenant le bus seule pour aller au travail, j’ai posé la mine sur une page blanche et je me laisse absorber par le défilement du paysage, je laisse mon esprit orienter le mouvement de ma main et traduire ce que je vois, ce qui m’intéresse. Puis petit à petit, j’ai commencé à faire des connaissances, et les intégrer dans mon travail. J’ai observé la culture française et remarqué les différences culturelles. C’est notamment pour cela que j’ai choisi de travailler sur les rapports trans-générationnels.
Ma performance Main dans la main n’est pas une critique de la société française concernant la manière dont les français gèrent les séniors, d’ailleurs, la société chinoise tend à se rapprocher de plus en plus du modèle occidental. Je témoigne plutôt de ce que j’ai vécu avec ma grand-mère. Pour moi, le tactile avec les personnes âgées est culturel ; je vivais avec mes parents et mes grands-parents en Chine et très naturellement je lavais parfois ma grand-mère. En France, dans les maisons de retraites, le contact physique est délégué à des professionnels. A partir de ce constat, j’ai imaginé un dispositif qui consiste en une série de rendez-vous avec des personnes âgées dépendantes, durant lesquels je tiens la main de la personne pour créer une intimité. Pendant que nous discutons, je peins le visage de cette personne dans la paume de sa main. Lorsque le portrait est terminé, je recouvre la paume avec un mouchoir en papier pour en faire une empreinte avant d’effacer la peinture de sa main. Les visiteurs de l’exposition où ce travail a été présenté étaient très émus et touchés à la vision de ces portraits fragiles portant la trace et l’histoire des personnes âgées. Cela renvoie à leurs propres souvenirs et à leur histoire familiale, cela permet également une base de réflexion sur le lien avec les aînés.
As-tu constaté une évolution dans tes protocoles ?
C’est ma vie qui détermine mes protocoles et non l’inverse : ils suivent mon expérience de vie et évoluent avec mon âge. Dans Voyage des jeunes mariés, j’ai réalisé une performance avec mon mari lors du trajet en avion qui nous amenait en Chine pour fêter notre mariage. Je n’ai pas pris l’avion pour faire cette performance mais c’est parce que je prenais l’avion que j’ai imaginé ce protocole de tenir ensemble un stylo, la pointe posée sur une feuille durant les 10 heures de vol, enregistrant les soubresauts de l’avion comme un sismographe. Aujourd’hui, je me sens parfaitement intégrée à la société française, je suis même capable d’envisager d’intégrer des inconnus dans mon processus.
L’apport de l’autre et a fortiori d’un inconnu dans ton travail implique la notion de hasard. Comment gères-tu cette part de hasard ?
Le travail collaboratif est un avantage mais également une source de contraintes. L’autre perturbe ma vision, mon action et mon désir. Une aiguille entre nous est une métaphore de la difficulté de communiquer et du rapport à l’autre. J’ai invité un ami peintre qui était mon professeur en chine et que je ne vois donc plus beaucoup dorénavant, à participer à cette performance. Chacun d’un côté de deux grands canevas montés dos à dos, sans nous voir, nous dessinons avec un fil et une aiguille notre idée du bonheur. Nous avons tous les deux une idée différente et lorsque je plante l’aiguille pour dessiner ma vision (un vol d’oiseaux migrateurs à mon image de migrante) lui me renvoie l’aiguille en fonction de sa vision (un paysage). A partir de l’expérience de notre relation, mise en scène artistiquement par cette performance, il est possible d’en déduire un propos universel qui évoque des difficultés de communiquer en général.
Je laisse toujours une place assez libre à l’autre même si cette liberté est « illusoire » puisque je l’ai prévu dans mon protocole. J’invite quelqu’un qui correspond à mon projet et à ce que j’ai envie de dire à travers cela. Le protocole est la base de tout mais l’intervention de l’autre va influer sur le résultat. Je me vois comme un architecte qui décide des fondations et de la localisation puis je fais appels à des collaborateurs ouvriers qui vont distordre le plan de construction et bâtir avec moi.
J’intègre le hasard pour ne pas qu’il arrive par hasard. C’est la beauté de la performance. C’est aussi pour cela que je m’intéresse fortement à la démarche de Francis Alys ; avec des actions simples, ironiques et significatives, il étudie l'influence de l'art sur la vie dans la ville. Je suis comme lui, j’imagine une notion d’atelier d’artiste sans mur et de plus en plus inscrit dans la vie.
La main, la feuille, le mouchoir en papier, le canevas, tes supports sont multiples
Oui car je m’intéresse à la peinture et je cherche des moyens de diversifier ses codes, notamment en trouvant des supports différents. J’étudie d’autres formats et de nouvelles possibilités, la mixité m’intéresse à tous les niveaux.