ZHAO Duan
Née le 24 novembre 1981 à Shenyang, province de Liaoning, entre Pékin, Corée et Russie. Poussière noire sur la neige, enfant unique, pensée unique, pollution ; Mao.
Elevée selon le tri décisif qu’y opère sa mère : Les femmes représentent la moitié du ciel ; Là où il y a oppression il y a résistance. Enfant, au lieu du seau qu’on lui demande
de colorier, colorie l’espace vide, autour. Apprend le courage avec Jin Xing, l’art avec la vie, la calligraphie avec Mi Fu et son grand-père: liberté, légèreté, fluidité. Cours de
dessin, de danse, de violon, de théâtre. Université de Shenyang, option peinture à l’huile. Depuis 2005 s’invite en France. 2006 Le Havre, 2008 Toulouse, 2011 Paris ;
Beaux-Arts, puis Sorbonne. Rencontre Wang Bing, Chantal Crousel, Kamel Mennour. 2012 : Prix Michel Journiac ; la même année, expositions : Musée Ludwig, Coblence,
LAC, Sigean, Paris aujourd’hui, Galerie du Haut-Pavé.
De ce parcours, il n’est besoin que des indications les plus rapides, l’audace, l’énergie et la singularité de Zhao Duan éclatent; elles suffiraient presque à la révéler s’il n’y
avait ses travaux : un large champ d’investigations qui atteste, pas après pas, d’une capacité d’invention et de renouvellement qui ne s’interdit rien a priori, pourvu que
chaque chose s’impose selon la stricte nécessité de la pensée et du souffle vital : peinture, volume, dessin, photographie, vidéo, installation, danse, performance, et le
plus étonnant souvent tour à tour, en une suite imprévisible, ouverte, indéfinie, qui hybride les médiums et puise librement, sans inhibitions, à l’histoire de l’art universelle.
Une constante cependant : y entre toujours la pensée de l’Autre, ce qui trouve à se tisser ou à se retisser entre les êtres et les cultures sur la trame commune, invariable,
de l’existence, comme le donnait bien à comprendre, déjà, l’installation/performance Une aiguille entre nous. Par là, la pratique de Zhao Duan se situe dans le sillage de
toutes celles qui se préoccupent directement d’échanges humains et culturels plus équitables où la justice découle de la justesse, qui fasse droit à autrui, à la parole de
l’autre et déjà en deçà au geste, à la présence irréductible de chacun pour autrui, hors de toute volonté de domination ou de hiérarchie. Une évidence chez Zhao Duan :
l’autre la regarde. Depuis peu, mais à chaque fois maintenant, sa participation inter-rompt littéralement la tentation du solipsisme, dont la série des soixante peintures
de Je me mire témoigna un temps du vertige.
Elle parle de Francis Alys, d’histoires parallèles ; on pense plutôt à Rirkrit Tiravanija, qu’elle n’ignore pas. La vision de l’art que déploie calmement Zhao Duan relève en effet,
dans une large mesure, d’une esthétique relationnelle, selon ses quatre catégories définies par Nicolas Bourriaud. Ici pourtant il s’agit d’une pratique dont l’exigence
d’interaction se voit sans cesse prolongée, reprise et relancée, la prémunissant ainsi de tout risque de chosification en un moment unique et finalement essentiellement
symbolique ; une pratique qui, tout au contraire, trouve inlassablement - dans une invention qu’on devine cruciale - à se rejouer, se relancer et rebondir de l’artiste au
partenaire, du partenaire au public, de l’espace de l’atelier à celui du bureau, du bureau à la maison de retraite ou à la rue; de la rue à la toile - qu’on reconnaisse sous ce
nom la peinture ou l’écran… On le sait depuis longtemps : rien ne se perd tout se transforme, faut-il encore être capable du risque incalculable que cela suppose.
Zhao Duan nous souffle qu’à l’heure de la globalisation c’est à ce prix et à cette échelle qu’on peut encore faire société : en commençant par la microsociété.
Main dans la main est à ce titre emblématique de l’ensemble d’une pratique, comme en témoigne son choix pour l’annonce de l’exposition. Qu’y voit-on ? L’artiste et une
vieille dame face à face, main dans la main effectivement ou, plus précisément, main dans les mains ; la première tenant de la main gauche la main droite de la seconde,
dans la paume de laquelle l’artiste peint, de l’autre main, le portrait de celle qu’elle regarde et qui au double sens du terme, comme on l’a vu, la regarde. Où sommes nous ?
On le devine : dans la chambre - ce jour là ensoleillée - d’une pensionnaire d’une maison de retraite. A gauche de la fenêtre ouverte: sonnette d’alarme ; à droite, deux
cartes postales : un buste antique et Psyché ranimée par le baiser de l’amour de Canova, celle du Louvre. Sonnette, cartes, fenêtre: trois dispositifs de secours en somme,
auquel l’artiste ajoute un quatrième : le sien.
Car ce que le document photographique ne dit pas ce sont les prolongements : le dialogue, l’empreinte, le portrait soigneusement reporté sur un mouchoir de papier avant
de se voir effacé au terme de la rencontre et la seconde vie du portrait, une fois le mouchoir transposé dans l’espace d’exposition, en regard de quelques paroles de son
modèle, de celles qui cristallisent une vie et dont Zhao Duan nous rend à notre tour dépositaire. A charge pour nous d’en ranimer l’empreinte.
Utopie ? Sans doute ; mais il faut en ce cas lui donner le sens plein que lui donnait l’auteur d’Ethique et Infini : « L’étrange, c’est l’étranger. Rien n’est plus étranger que l’autre
homme et c’est dans la clarté de l’utopie qu’on touche l’homme hors de tout enracinement et de toute domiciliation. » Il faut aussi se souvenir de Roger Pol Droit
commentant dans Le Monde un livre de François Julien : « Première leçon de chinois. Qu’apprend-on ? à demander « quelle est cette chose ? ». Cela se dit littéralement,
« qu’est-ce que cet est-ouest ? ». En Chine pas de chose-substance, rien qu’une relation. »
Hervé Sénant
Critique de l’art. Professeur de histoire de l'art aux beaux-arts de Toulouse et Paris.
Née le 24 novembre 1981 à Shenyang, province de Liaoning, entre Pékin, Corée et Russie. Poussière noire sur la neige, enfant unique, pensée unique, pollution ; Mao.
Elevée selon le tri décisif qu’y opère sa mère : Les femmes représentent la moitié du ciel ; Là où il y a oppression il y a résistance. Enfant, au lieu du seau qu’on lui demande
de colorier, colorie l’espace vide, autour. Apprend le courage avec Jin Xing, l’art avec la vie, la calligraphie avec Mi Fu et son grand-père: liberté, légèreté, fluidité. Cours de
dessin, de danse, de violon, de théâtre. Université de Shenyang, option peinture à l’huile. Depuis 2005 s’invite en France. 2006 Le Havre, 2008 Toulouse, 2011 Paris ;
Beaux-Arts, puis Sorbonne. Rencontre Wang Bing, Chantal Crousel, Kamel Mennour. 2012 : Prix Michel Journiac ; la même année, expositions : Musée Ludwig, Coblence,
LAC, Sigean, Paris aujourd’hui, Galerie du Haut-Pavé.
De ce parcours, il n’est besoin que des indications les plus rapides, l’audace, l’énergie et la singularité de Zhao Duan éclatent; elles suffiraient presque à la révéler s’il n’y
avait ses travaux : un large champ d’investigations qui atteste, pas après pas, d’une capacité d’invention et de renouvellement qui ne s’interdit rien a priori, pourvu que
chaque chose s’impose selon la stricte nécessité de la pensée et du souffle vital : peinture, volume, dessin, photographie, vidéo, installation, danse, performance, et le
plus étonnant souvent tour à tour, en une suite imprévisible, ouverte, indéfinie, qui hybride les médiums et puise librement, sans inhibitions, à l’histoire de l’art universelle.
Une constante cependant : y entre toujours la pensée de l’Autre, ce qui trouve à se tisser ou à se retisser entre les êtres et les cultures sur la trame commune, invariable,
de l’existence, comme le donnait bien à comprendre, déjà, l’installation/performance Une aiguille entre nous. Par là, la pratique de Zhao Duan se situe dans le sillage de
toutes celles qui se préoccupent directement d’échanges humains et culturels plus équitables où la justice découle de la justesse, qui fasse droit à autrui, à la parole de
l’autre et déjà en deçà au geste, à la présence irréductible de chacun pour autrui, hors de toute volonté de domination ou de hiérarchie. Une évidence chez Zhao Duan :
l’autre la regarde. Depuis peu, mais à chaque fois maintenant, sa participation inter-rompt littéralement la tentation du solipsisme, dont la série des soixante peintures
de Je me mire témoigna un temps du vertige.
Elle parle de Francis Alys, d’histoires parallèles ; on pense plutôt à Rirkrit Tiravanija, qu’elle n’ignore pas. La vision de l’art que déploie calmement Zhao Duan relève en effet,
dans une large mesure, d’une esthétique relationnelle, selon ses quatre catégories définies par Nicolas Bourriaud. Ici pourtant il s’agit d’une pratique dont l’exigence
d’interaction se voit sans cesse prolongée, reprise et relancée, la prémunissant ainsi de tout risque de chosification en un moment unique et finalement essentiellement
symbolique ; une pratique qui, tout au contraire, trouve inlassablement - dans une invention qu’on devine cruciale - à se rejouer, se relancer et rebondir de l’artiste au
partenaire, du partenaire au public, de l’espace de l’atelier à celui du bureau, du bureau à la maison de retraite ou à la rue; de la rue à la toile - qu’on reconnaisse sous ce
nom la peinture ou l’écran… On le sait depuis longtemps : rien ne se perd tout se transforme, faut-il encore être capable du risque incalculable que cela suppose.
Zhao Duan nous souffle qu’à l’heure de la globalisation c’est à ce prix et à cette échelle qu’on peut encore faire société : en commençant par la microsociété.
Main dans la main est à ce titre emblématique de l’ensemble d’une pratique, comme en témoigne son choix pour l’annonce de l’exposition. Qu’y voit-on ? L’artiste et une
vieille dame face à face, main dans la main effectivement ou, plus précisément, main dans les mains ; la première tenant de la main gauche la main droite de la seconde,
dans la paume de laquelle l’artiste peint, de l’autre main, le portrait de celle qu’elle regarde et qui au double sens du terme, comme on l’a vu, la regarde. Où sommes nous ?
On le devine : dans la chambre - ce jour là ensoleillée - d’une pensionnaire d’une maison de retraite. A gauche de la fenêtre ouverte: sonnette d’alarme ; à droite, deux
cartes postales : un buste antique et Psyché ranimée par le baiser de l’amour de Canova, celle du Louvre. Sonnette, cartes, fenêtre: trois dispositifs de secours en somme,
auquel l’artiste ajoute un quatrième : le sien.
Car ce que le document photographique ne dit pas ce sont les prolongements : le dialogue, l’empreinte, le portrait soigneusement reporté sur un mouchoir de papier avant
de se voir effacé au terme de la rencontre et la seconde vie du portrait, une fois le mouchoir transposé dans l’espace d’exposition, en regard de quelques paroles de son
modèle, de celles qui cristallisent une vie et dont Zhao Duan nous rend à notre tour dépositaire. A charge pour nous d’en ranimer l’empreinte.
Utopie ? Sans doute ; mais il faut en ce cas lui donner le sens plein que lui donnait l’auteur d’Ethique et Infini : « L’étrange, c’est l’étranger. Rien n’est plus étranger que l’autre
homme et c’est dans la clarté de l’utopie qu’on touche l’homme hors de tout enracinement et de toute domiciliation. » Il faut aussi se souvenir de Roger Pol Droit
commentant dans Le Monde un livre de François Julien : « Première leçon de chinois. Qu’apprend-on ? à demander « quelle est cette chose ? ». Cela se dit littéralement,
« qu’est-ce que cet est-ouest ? ». En Chine pas de chose-substance, rien qu’une relation. »
Hervé Sénant
Critique de l’art. Professeur de histoire de l'art aux beaux-arts de Toulouse et Paris.